jeudi 7 août 2014

Trahie




Voilà une nouvelle que j'avais écrit en 2011, et dont je viens de terminer la nouvelle version.

Il était une fois un saumon. Celui-ci subissait la colère de la déesse. Luttant contre le courant, il devait prouver à Acionna qu’il méritait sa place en son lit. Le poisson devait renaître en son for avant que le temps de la pêche ne revienne. Il était indispensable pour lui d’établir qu’il était le plus fort et qu’il ne tomberait pas dans le piège…


Ça y est, je devais déposer ma plume. Je souffrais déjà du syndrome de la page blanche que vit tout écrivain. Je ne suis pas un de ceux que vous connaissez. Cette panne d’inspiration était un obstacle. Cela débutait mal, malgré toute ma volonté. Je voulais vous conter pourquoi je suis en prison pour meurtre avec une belle métaphore. Mais qu’importe! Au diable l’allégorie et la mythologie! L’histoire vous sera narrée en toute simplicité. Le résultat sera le même. Je me sens toujours comme un saumon pris au piège. Non coupable, je veux vous raconter les événements pour obtenir ma délivrance, pour que vous compreniez vous aussi ce qui s’est passé.
      
Il y a plus de deux ans, je déambulais dans les rues de mon quartier pour regagner mon foyer. Le soleil resplendissait sur la neige qui ne fondait pas sous la chaleur printanière. J’entendais la rivière sortir de son lit et gronder. Je grondais moi aussi de fureur. J’étais rempli de frustrations face à ma vie et j’avais besoin d’un nouveau départ, d’un nouveau printemps pour m’en libérer. J’étais sur le point d’exploser et de causer des dommages autour de moi. Pour me tempérer, je vagabondais dans mon secteur, et c’est là que j’aperçus la voiture, une Civic blanche, dans l’allée. J’étais intrigué, car j’avais cru comprendre que l’emménagement était pour plus tard. Ne voyant pas la propriétaire de la Civic, je rentrai chez moi.

Le lendemain, je retournai marcher, car je ressentais encore le besoin de me libérer des tensions conjugales qui s’accumulaient de jour en jour. J’avais aperçu au loin la nouvelle locataire, la propriétaire de la Civic. Celle-ci avait le plus joli des corps que j’eusse aperçus pendant ma brève vie : un corps à la Jennifer Lopez, un corps à faire rêver! Il avait juste ce qu’il fallait de formes pour que mon cœur se mette à palpiter. J’étais attiré vers ce corps duquel se dégageait une telle grâce, une telle fraîcheur. Je n’étais pas qu’intrigué, j’étais aussi subjugué, voire ensorcelé. Elle m’avait envoûtée plus qu’elle ne le laissait présager, comme la suite des évènements allait me le démontrer, malencontreusement.

Je vis que la nouvelle locataire discutait avec un jeune étudiant en technique de sonorisation. Je trouvais Gabriel paresseux et difficile à cerner. J’en avais peur même si je n’en identifiais pas la raison. Je n’éprouvais que méfiance envers lui. Il caractérisait l’une de mes plus grandes frustrations en ces temps-là lorsque je me fiais à mon intuition. Cependant, ayant partagé mes inquiétudes avec la copropriétaire de la maison, je fus rassuré lorsqu’elle m’affirma que Gabriel était un excellent locataire. J’avais dû m’en remettre à son jugement puisque, à cette époque, je lui vouais encore une confiance infinie, aveugle. Malgré tout, je ne m’étais jamais départagé de mon impression qui revenait à chaque fois que je croisais ce jeunot. Comme en ce moment où il riait avec la nouvelle locataire…
               
En passant près d’eux, je sus qu’ils allaient rejoindre des amis à l’un des restaurants du village que nous habitions. Je me joignis à eux pour faire un bout de chemin et je pus ainsi me rappeler que la nouvelle locataire s’appelait Raphaëlle et qu’elle enseignait depuis quatre ans.  La jeune femme rencontrait des difficultés dans son emploi où elle ne se sentait ni comprise, ni aidée.  De plus, elle venait de rompre avec son amoureux des cinq dernières années. Puisque Raphaëlle ne voulait pas demeurer dans le même logement que son ancien copain et que tous les appartements étaient loués à cette époque de l’année, la rupture l’avait forcée à se trouver une simple chambre. Au fil de la conversation, je saisis que, malgré notre différence d’âge, je pourrais devenir un excellent confident pour cette exquise jeune demoiselle. J’avais l’intuition d’avoir trouvé mon nouveau printemps et de renaître de mes cendres.

En marchant, je m’étais réfugié dans mes pensées, subjugué par la beauté de Raphaëlle. J’avais perdu le fil de la conversation : les jeunes parlaient de musiques qui m’étaient totalement inconnues : Rise Against, Colby O’Donis, Loco Locass et  plusieurs autres dont je ne me rappelle même plus les noms aujourd’hui. Près du restaurant, je laissai les colocataires aller rejoindre leurs amis et poursuivis ma promenade. En cheminant, je me fis la promesse de tout mettre en œuvre pour me rapprocher de l’exquise Raphaëlle, afin de me sentir plus désiré que je ne l’étais dans mon couple. Avec le recul, je sais que l’idée n’était pas aussi bonne qu’elle m’apparaissait à l’époque.

Puis, mes pas me guidant par habitude, je réfléchissais aux façons de me rapprocher de Raphaëlle sans que personne ne s’en aperçoive, surtout pas ma conjointe que je sentais aux aguets, prête à me tester. Je voulais à tout prix parvenir à mon but et j’allais mettre tout en œuvre en ce sens. J’avais besoin de séduire et je savais que je croiserais Raphaëlle fréquemment dans les prochains mois. Ce serait l’occasion de voir si mes vieilles techniques fonctionnaient encore.

Dans les semaines qui suivirent, je revis Raphaëlle. Je lui parlais presque à tous les jours, ce qui me permettait de me sentir plus près d’elle. J’étais l’oreille attentive dont la jeune femme avait besoin dans ses instants de découragement. L’évolution de notre relation me permit rapidement de lui donner des conseils en toute confiance. Cet essor me confirmait que nous étions en symbiose. Je pouvais la consoler en la tenant dans mes bras et elle ne s’y opposait pas. Moi, encore marié, je devais me retenir face à toute la sensualité qui se dégageait d’elle. Une sensualité exquise qui représentait sa jeunesse et son intégrité.

La seule difficulté, et c’en était une grosse, était que Raphaëlle était une fille trop gentille. Sa gentillesse la rapprochait aussi beaucoup de Gabriel. Et Gabriel était un problème, car il mettait en doute mes capacités de séduction. Eh oui, j’en étais radicalement jaloux. Je devais ne rien en laisser paraître puisque, même si Raphaëlle et moi nous comportions bien en public, il y avait encore des tensions entre ma femme et moi. Je croyais avoir bien fait, mais notre intelligente Raphaëlle décela ma jalousie, et elle en parla – à d’autres que moi, évidemment.

À la fin du mois de juillet de cette époque, Gabriel fut retrouvé mort dans sa chambre, gisant dans son sang. Celui-ci avait été mutilé à plusieurs reprises. Il était allongé sur le dos, les genoux repliés, un seul bras étendu de travers, et les vêtements parsemés de trous, laissés par des coups de couteau. À sa découverte, la femme de ménage fut grandement ébranlée. Qui ne l’aurait pas été? Elle dût abandonner son emploi peu de temps après, victime d’un choc post-traumatique.

Je me souviens que depuis son emménagement, je m’étais rapproché de Raphaëlle. Nous n’étions pas devenus amants, mais, aux yeux de certains, nous semblions l’être. À chaque fois que je l’apercevais,  je réussissais à lui soutirer des sourires et ses yeux scintillaient lorsqu’elle me voyait. Ces étincelles comblaient mes désirs en partie. J’étais encore marié et je tenais à ne pas être découvert sur cette relation qui pouvait être considérée comme une infidélité. Je tenais à la discrétion et c’est pour cela que j’avais agi en toute subtilité.

La journée du meurtre, la curiosité l’emporta. Une grande erreur quand on sait ce que le proverbe dit et le dénouement de l’affaire. Je me trouvais sur le lieu du crime au moment où les inspecteurs arrivèrent. Bien sûr,  j’affirmai que j’avais pris mes précautions et que je n’avais touché à rien afin de ne pas nuire à leur recherche : toutes les preuves possibles devaient être trouvées intactes. Ainsi, l’équipe inspecta la zone minutieusement : les éclaboussures de sang parsemant la chambre amenèrent les policiers et leurs collègues à conclure que Gabriel s’était débattu. On ne découvrit pas de sang de l’agresseur; on récolta des mèches de cheveux de gens qui avaient pu se trouver là auparavant, et ce par le plus pur des hasards : les propriétaires de la pension, Raphaëlle et la femme de ménage.

Lorsque tous les éléments furent réunis, les experts conclurent que l’auteur de ce carnage avait agi dans une grande fureur, presque une folie. Ils étudièrent le profil de Gabriel et des gens de son entourage. Les événements qui me conduisirent derrière les barreaux m’apprirent, plus tard, que Raphaëlle, malgré toute sa grâce et sa fraîcheur, n’était pas si parfaite qu’elle le laissait paraître. Elle avait parlé contre moi, la traîtresse. Raphaëlle avait perçu ma faiblesse et l’avait divulguée à tous vents. Tout le village, à jamais sous le choc, était désormais au courant de ma jalousie envers Gabriel. Ce ragot, combiné à l’expertise des psychologues, me désigna d’ores et déjà comme principal suspect du meurtre.

Pour couronner le tout, les policiers vinrent prélever mes empreintes digitales. J’ignorais qu’ils avaient en leur possession l’arme du crime et que les marques qu’on y décelait étaient assez claires pour qu’elles puissent être utilisées en tant que preuves, puisque le sang était celui de Gabriel.  Lorsque j’appris qu’ils détenaient l’arme, je pensai qu’ils avaient fait leur découverte pendant le bref instant où j’avais quitté la pièce pour discuter avec la maîtresse de maison. Ce n’est que plus tard que j’appris qu’ils avaient trouvé le couteau maculé de sang sous le matelas, ce qui confirmait mes pensées puisque je ne me souvenais pas avoir vu les inspecteurs le soulever.

Les analyses permirent de révéler à qui appartenaient ces marques C’est avec stupéfaction que j’appris qu’il s’agissait, hors de tout doute, de mes empreintes! Dans ma tête, cela était impossible, voire irréel.

À partir de ce moment, je commençai à me questionner. J’étais certain de ne pas avoir perpétré ce crime. Mais comment allais-je pouvoir me défendre contre ces supposées preuves? J’étais d’ores et déjà considéré comme principal suspect et j’avais perdu la confiance que mes concitoyens avaient eu l’honneur de m’accorder autrefois. Qui avait pu monter un tel scénario me désignant coupable? Maintenant, je le présume… Aussitôt soupçonné, je contactai un avocat. Vu les preuves qui semblaient s’accumuler et un alibi précaire, celui-ci me conseilla de plaider coupable et de tirer parti de la folie. Cependant, je refusais de le faire pour un acte dont je n’avais aucun souvenir.

Et c’est à partir de ces accumulations de preuves et de mobiles que je commençai à éprouver un doute. Aurais-je pu être somnambule et ne pas m’en rappeler? Aurais-je pu, avec toute ma fureur, être victime d’un acte de folie, tel un automate? Mais dès que j’y pensais, plus je me disais que c’était impossible et irréel comme façon de concevoir les choses : je n’avais aucun souvenir d’une absence. Je n’étais qu’un être rempli d’agressivité, mais je la contrôlais grâce à mes comprimés. J’étais encore loin d’être fou, mais j’évoluais en un vieil homme rongé par les tourments et les déboires de son couple qui s’en allait à l’eau. J’étais loin d’être fou, mais j’avais peur de le devenir au cours du procès qui allait s’ensuivre. Je savais qu’il serait rude pour mes nerfs, car j’allais être sous les feux des projecteurs et étudié dans chacun de mes anciens faits et gestes, même les moindres. Malgré tout, au début des procédures juridiques, j’étais optimiste dans le fait que je ne serais pas condamné à perpétuité et que je m’en sortirais à bon escient.

Je dus patienter jusqu’à l’ouverture du procès. J’espérais que les procureurs décideraient que les preuves n’étaient pas suffisantes mais, avec l’arme du crime, mon espoir était bien mince. Du reste, à ce moment, je me disais que la seule preuve qui m’incriminait était le couteau avec mes empreintes. Quelqu’un avait pu me le subtiliser, mais cela serait difficile à prouver puisque je ne voyais personne qui aurait pu commettre ce vol. Quoique lorsque je me mis à y réfléchir, je commençai à éprouver des soupçons de vengeance. Cette possibilité ne pourrait que semer une incertitude dans les pensées des membres du jury lors de leurs délibérations. Cette ambiguïté avait une infime chance de sauver ma peau. Il était impossible pour moi d’être condamné s’il subsistait un doute, si minime soit-il. C’était le principe de notre système de justice; je ne pouvais qu’être déclaré coupable hors de tout doute.  

Même si les preuves étaient minces, ce qui m’inquiétait le plus était mon absence d’alibi qui puisse tenir la route lors du procès. Ma conjointe avait confirmé que j’étais allé faire mon jogging de remise en forme à l’heure du meurtre. Malheureusement pour moi, cela constituait l’alibi le plus facile à détruire par les avocats. Je n’effectuais jamais exactement le même chemin, car la routine me lassait. Cela rendait difficile de trouver un témoin qui certifierait qu’il m’avait aperçu. Cette mission m’apparaissait impossible sachant que la poursuite pouvait aisément confondre le témoin et l’amener à douter de ses souvenirs.

Et même si je réussissais à trouver un tel témoin, il serait facile de dire que j’avais modifié l’itinéraire que je mentionnais. J’avais ainsi pu aller voir Gabriel et le tuer; j’en avais amplement eu le temps, peu importe l’itinéraire que j’avais décidé d’emprunter. D’ailleurs, selon les experts médico-légaux, l’altercation n’avait duré que quelques minutes. Alors, je me retrouvais, comme principal suspect, sans aucun alibi, mais avec la jalousie comme mobile. Cela n’était pas de bon augure, vous l’aurez sans doute deviné au vu du verdict du jury.

Et c’est sans surprises que j’avais appris que j’étais formellement accusé du meurtre de Gabriel Vernon. J’aurais le droit à un procès qualifié de juste et équitable pour me défendre : c’était ce que me permettait notre système judiciaire. Alors, j’embarquai dans la paperasse de la justice; je n’avais plus le choix de m’y conformer. Chaque fois que je rencontrais mon avocat, je voyais mes économies fondre à vue d’œil. Et j’avais la sensation de faire du surplace. Je n’avais pas l’impression que ma défense se préparait. C’était couru d’avance puisque j’avais peu d’éléments pour la bâtir.

Pendant les procédures, je me demandais si ma mauvaise perception de Gabriel était liée aux évènements que je vivais. Peut-être l’avais-je rencontré dans une autre vie? Que je vivais présentement mon karma? Ainsi, je devais payer mes fautes passées envers sa réincarnation dans ce monde. Que se passait-il? Ce procès me rendait fou. Je n’avais jamais cru en la réincarnation et je ne m’engagerais pas de sitôt dans cette voie. Je n’étais pas fou, j’étais convaincu de mon innocence, et bien que les moyens me manquaient, je me débattrais jusqu’au bout. Je prouverais que j’avais été piégé. Je n’étais pas un perdant et ne voulais pas en devenir un. Dans ma vie, je désirais simplement obtenir mon paradis. Et je prenais les méthodes pour, me comportant, malgré mon caractère agressif, de manière que je considérais juste et respectueuse.

Lors de mes rencontres, je mentionnai que Raphaëlle avait eu des problèmes financiers, lui occasionnant du retard dans le paiement de son loyer. Gabriel lui avait prêté de l’argent et il le lui réclamait avec insistance dans les derniers moments de sa vie. Or, j’affirmai à mon avocat de pacotille que Raphaëlle n’était pas encore apte à lui remettre le montant. Peu après, j’appris que la somme avait été remboursée à Gabriel. J’ignore par quel moyen la traîtresse avait réussi cet exploit, mais maintenant, je suis passé par-dessus cet outrage. Je me rappelai aussi que sa relation avec Gabriel s’était détériorée, rendant pénible l’atmosphère de colocation, mais la propriétaire m’affirma les trouver assez matures pour régler seuls leurs différends. Ainsi, mon avocat en vient à m’apprendre que Gabriel avait des difficultés relationnelles avec plusieurs personnes. Cela me soulageait en quelque sorte : malgré sa haute trahison, je ne voulais pas rejeter la faute sur Raphaëlle, car à ce moment, je n’avais aucune certitude d’avoir été piégé.

Le procès débuta après quelques mois d’attente pendant lesquels je me morfondis et tentai de trouver des solutions avec l’aide de mon avocat. Il fit témoigner à la barre tous ceux qui avaient eu des désaccords avec Gabriel. Parmi eux, tous, sauf Raphaëlle, avaient des excuses en béton : stage, travail, enterrement, voyage à l’extérieur, examens médicaux ou autres rendez-vous. Bref, tous des alibis qui ne pouvaient en aucun cas être démolis. Je m’inquiétai pour Raphaëlle; malgré sa haute trahison, j’étais encore sous l’emprise de son charme. Sa grâce et sa fraîcheur me subjuguaient encore et ravivaient les pulsions que ne parvenait plus à combler mon épouse. Mais, puisque son soutien me semblait feint, je perdis le peu de confiance qu’il me restait en elle. Quant à Raphaëlle, elle se sortit plutôt bien de son témoignage. On apprit la nature de ses problèmes de colocation : des petits événements qui, mis bout-à-bout, lui empoisonnaient l’existence. Pour résoudre ces différends, elle en avait discuté avec la propriétaire. Cette dernière confirma les dires de Raphaëlle et mentionna qu’elle était allée voir Gabriel pour régler le conflit.
                                                                                                                                 
À partir de ce moment, je fus découragé et je baissai les bras. Je n’avais aucun souvenir d’avoir commis ce crime, surtout que je me rappelais maintenant ma promenade, ce qui me convainquait de mon innocence. Était-ce possible d’avoir un choc et de s’inventer des souvenirs? J’avais l’intuition que rien au monde ne viendrait m’aider et jetterait le blâme sur un autre que moi, malgré mes doutes sur une personne qui m’était précieuse. Je n’avais même pas l’énergie de faire porter le chapeau à la femme de ménage : c’était bien elle qui avait découvert le corps et pas moi. Je devais assumer les conséquences de ce que j’avais dégagé, provoquant ce drame. Je devais maintenant me protéger. Je devais absolument protéger toute ma famille. C’était tout ce qui me restait dans cette solitude face à ma future condamnation.

Rompu, j’espérais qu’un doute demeurerait dans l’esprit des jurys puisque moi-même j’en éprouvais sur une autre personne. J’observai les suites de mon procès passivement. Faute de preuve pour faire un coup d’éclat, mon avocat rappelait à la barre des témoins déjà entendus afin de dénicher des indices qui pourraient me sauver la peau. On aurait pu dire qu’il se démenait pour moi. Or, un œil averti aurait perçu, comme moi, qu’il y mettait autant de convictions que j’en dégageais dorénavant. Il était autant résigné que je l’étais. Et bien sûr, il ne trouva aucun détail qui en vaille la peine, si infime soit-il.

C’est donc avec l’énergie du désespoir que je regardai les avocats faire leur plaidoyer. Celui de la poursuite insista sur l’arme qui comportait mes empreintes, sur mon absence d’alibi vérifiable et sur ma jalousie envers Gabriel, ce qui pouvait constituer le mobile du meurtre. Mon avocat insista sur le fait que l’arme avait pu m’être subtilisée et sur le fait que je n’étais pas le premier témoin à être arrivé dans la chambre de Gabriel. Bref, il n’y avait rien de concret qui aurait pu me sauver.

Bien sûr, maintenant, vous savez le verdict que le tribunal a posé, mais je tiens à vous partager ce par quoi je suis passé. À l’époque, j’avais, nonobstant mon attitude défaitiste, encore un léger espoir qu’une personne vienne se manifester afin de me sauver. Elle n’en fit rien, malgré la confiance que je lui avais accordée. Je devais me taire, sous peine d’empirer mon cas, car je n’avais que des soupçons et aucune façon de prouver ce que j’affirmerais. Confronté aux différentes éventualités, mon cœur palpitait la chamade et j’étais inquiet de ce que j’allais advenir. Les jurés revinrent de leur délibération : le mot « coupable » eut sur moi l’effet d’une bombe. J’étais complètement désemparé puisque je croyais avoir semé le doute par mes témoignages. Je ne pouvais plus qu’attendre la sentence que m’accorderait le juge.
                                                   
Aujourd’hui, cela fait un mois que je purge ma sentence au pénitencier provincial. Je me sens hautement trahi et piégé. Qu’ai-je fait pour mériter la prison à perpétuité sans possibilité de remise en liberté? Je suis innocent dans cette histoire. D’ailleurs, je suis le saumon du conte que je voulais vous narrer au départ. J’espère que vous n’êtes pas frustrés que j’aie choisi la voie facile pour vous relater mon histoire. Maintenant que vous la connaissez, je peux aller rejoindre la visite que le garde m’annonce.

Je me laisse conduire à l’aire des isoloirs. Tout au long de mon séjour, j’ai pu réfléchir. On dit qu’il y a des apprentissages qui se font seulement lorsqu’on va purger une peine dans l’école du crime. Pour ma part, j’y ai appris la plus belle morale qui me fut inculquée. Être innocent me convainc que je ne peux que me faire confiance. Je ne dois pas l’accorder à ceux et celles que j’ai appuyées; ils en viennent toujours à nous trahir et à user de stratagèmes. L’assurance ne peut que venir de nous, et c’est ce qui m’a manqué au cours du procès. J’aurais dû être plus assuré dans mes moyens : j’aurais ainsi eu un plus grand pouvoir sur mon sort et j’aurais pu, de la sorte, limiter les trahisons masquées qui ont causé ma perte. Je sais dorénavant qu’il faut parfois se méfier des apparences et que la confiance provient de soi-même. Il a fallu que je sois emprisonné pour apprendre cette leçon de vie, si essentielle au bien-être de chacun.

Trêve de morale, j’arrive à l’aire des isoloirs. Je l’aperçois au loin dans toute sa grâce. Elle n’a jamais été aussi belle que dans le présent. L’air frais qui filtre par la fenêtre lui fait onduler les cheveux et je détaille encore et toujours ses précieuses courbes qui m’ont séduit. Toutes les périodes de joie et de misère passées avec elle me reviennent à l’esprit et me font frémir. De gaieté et de bonheur,  j’en doute! Elle semble être venue me livrer un cadeau. Qu’en ai-je à faire? Je suis confiné dans ces murs pour le restant de mes jours. Je m’approche et je vois les étincelles de nos premiers instants dans ses yeux, lueur de sa propre victoire. Je prends le téléphone qui nous sert d’interphone et c’est à ce moment précis que je comprends que mes doutes étaient fondés. Avec le sourire en coin, plutôt avec un énorme rictus glorieux, l’hypocrite propriétaire me souhaite : « Joyeux trente-cinquième anniversaire de mariage, chéri! » Puis, elle se lève, ravie d’être débarrassée de moi.


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